Politique Haiti

lundi 28 mai 2012




Opération réussie. Première victoire pour Lamothe. Énième défaite pour l’armée. Le dernier CSPN du mercredi 23 mai avait l’allure d’un triomphe. « L’autorité de l’État est rétablie », a martelé Jean Rénel Sénatus. Ce fut l’apothéose de ce show médiatique. La Police nationale a été encensée. Couverte de fleurs « pour son courage exemplaire ». Les anciens militaires et autres hommes en treillis qui occupaient les camps ont, quant à eux, été déclarés démon et envoyés en enfer, pour avoir osé défier l’État. 

Si ce fut une opération de rachat, par rapport au mouvement des policiers le mois dernier, elle fut réussie. Toujours est-il que les revendications qui ont poussé les membres de la PNH à gagner les rues n’ont pas encore été abordées. Les pluies de louanges ne rassureront donc pas trop longtemps. Et Mario Andrésol qui a recouvré, paraît-il, les bonnes grâces de l’équipe Tèt kale après des moments de tumulte et un cinglant refus infliger à M. Brunache, alors ministre de la Justice, qui lui avait intimé l’ordre de procéder à l’arrestation de ces hommes armés, n’est pas garanti d’un nouveau mandat. 

Il aura donc fallu près d’un an aux forces de l’ordre pour réprimer ce mouvement revendicatif, qui appelait à la remobilisation des Forces armées d’Haïti. Cet embarrassant dossier aurait pu pourtant être résolu à la base. N’était le zèle démesuré du président Martelly à vouloir réactiver, hors de toute norme et de toute conciliation sociale, l’appareil militaire. Et ce, malgré le refus catégorique d’un international, puissant et pesant dans les affaires du pays, finançant à plus de 60 % le budget national. Rappelons, entre autres, qu’il possède sa propre armée sur le territoire. Amateurisme ? 

En tout cas, Moïse Jean Charles l’avait dénoncé. L’exécutif faisait la sourde oreille. Le sénateur du Nord, l’appelait « armée rose », une manière de dénoncer les liens de ces hommes en treillis avec le président de la République. Lesquels ont toujours affirmé qu’ils avaient reçu des promesses du Président qu’ils rejoindraient leurs casernes. Quels rôles ont-ils joué dans l’équipe rose, pour obtenir de telles promesses ? Ils sont désormais des hors-la-loi. La population ne saura, peut-être, jamais. 

Intriguant ! Jean Rodolphe Joazile s’affirme en véritable chef de Défense. Et rejette les rumeurs de négociations entre des membres du gouvernement et ces hommes. « Ce fut une approche qui permettait de collecter les infos nécessaires afin d’identifier l’adversaire », a-t-il agité. Pourtant, ces hommes ont, à maintes reprises, évoqué des rencontres de négociation avec des membres du gouvernement. Leur présence suspecte devant le Parlement, rapporte-on, aurait même été commanditée par certains avares de l’équipe rose. Guerre de succession pour la primature ? Maintenant s’ouvre une vraie chasse à l’homme. « Ils seront traqués jusqu’aux portes de l’enfer. » Attendons voir. 

C’est donc la bouteille à l’encre. Une autre mise en scène, peut-être, pour étouffer une affaire qui devenait de plus en plus embarrassante pour le chef de l’État. Bien équipés. Armés. Ces hommes ont pendant plusieurs mois jeté la confusion au sein de la population. Sans n’être nullement inquiétés par les autorités. Voitures et uniformes neuves, ils paraissaient à l’abri de certains besoins. Le mouvement aurait eu des mécènes un peu partout. Entretenir plus de dix mille hommes, durant plusieurs mois, nécessite une logistique et des moyens économiques considérables. 

Le commissaire du gouvernement s’attèle aujourd’hui à découvrir l’identité de ces mécènes et à les traduire par-devant la justice. Un peu tard, non ! S’il tient parole, peut-être que les surprises ne finiront pas de pleuvoir dans cette saga à sensation aux saveurs démagogiques qui captive toute une nation. Certains de ces hommes se sont évanouis dans la nature avec leurs armes. La population a du souci à se faire. Dieu nous garde ! 

En vrai dindons de la farce, les militaires et autres hommes armés ont donc été plumés. Et bouffés par la politique. Heureusement sans effusion de sang. Certains jeunes, dupés, passeront probablement plusieurs années de leur vie derrière les barreaux. Et regarderont s’enfuir par la fenêtre leur avenir, comme c’est déjà le cas pour des millions d’autres que la misère a englouti. 

Victoire. Oui, mais contre qui et au profit de qui ? Elle ne servira probablement pas la cause nationale. L’ordre dans le désordre, et vice versa, dialectique d’aveugle au cœur de l’État que Laurent Lamothe devra s’atteler à éclaircir pour la population. S’il est vrai que cette première opération a été, pour lui, une réussite, d’autres l’attendent toutefois au tournant. Notamment celles portant sur le renouveau d’Haïti. Le changement est à ce prix.

Lionel Edouard



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