La séparation législative des autorités administratives et judiciaires
I - L'identification contextuelle du droit administratif
Dans quel contexte le droit administratif a-t-il vu le jour ?
Résumé et intérêt de cette 1e partie de l’introduction générale
Questions initiales :
1 – Quand et comment les juridictions administratives et le droit administratif sont-ils nés ?
2 - Qu’appelle-t-on dualité de juridictions ?
3 - Combien de juges l’administration a-t-elle ? De combien de "droits" relève-t-elle ? Que signifie la formule La compétence suit le fond ?
Réponses soutenues :
1 – Quand et comment les juridictions administratives et le droit administratif sont-ils nés ?
Ils résultent d’un processus qui se laisse schématiser de la manière suivante :
a - 1790 : interdiction est faite aux juridictions judiciaires de juger l’administration (Loi des
16-24 août 1790, un texte dont la teneur sera réaffirmée par le décret du 16 fructidor an III).
b - à partir de 1790 : instauration et généralisation du système de l’administrateur-juge ou
du ministre-juge.
Explication :
- on a défendu aux juges judiciaires de juger l’administration,
- il n’y avait pas, à cette époque, d’autres juges que les juges judiciaires,
- l’administration active va se juger elle-même puisqu’il faut bien qu’elle soit jugée.
c - 1799 - 1800 : atténuation du système de l’administrateur-juge avec la création du Conseil
d’Etat et des conseils de préfecture - ancêtres des tribunaux administratifs actuels (Constitution du 22
frimaire an VIII - 13 décembre 1799 - et loi du 28 pluviôse an VIII - 17 février 1800). L’administration
ne sera plus jugée par ses seuls membres actifs ; elle le sera aussi, en partie, par ceux de ses membres
qui ont le statut de conseillers auprès des premiers.
d - à partir de 1799 (toujours) : sur la base de la justice retenue, le Conseil d’Etat pose progressivement
les jalons du droit administratif.
e - 1872 : disparition de la justice retenue, avènement de la justice déléguée et accession du
Conseil d’Etat et des conseils de préfecture au statut de véritables juridictions administratives (loi du
24 mai 1872).
f - 1873 : reconnaissance solennelle par le Tribunal des conflits du caractère autonome du
droit administratif (T.C., 8 février 1873, Blanco).
g - 1889 : disparition des derniers vestiges de la théorie du ministre-juge (C.E., 13 décembre
La séparation législative des autorités administratives et judiciaires 8/28
1889, Cadot).
h -1987 : garantie constitutionnelle de l’existence des juridictions administratives. Dans sa
décision du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel juge que l’existence des juridictions administratives
est protégée par la Constitution.
2 - Qu’appelle-t-on "dualité de juridictions" ?
En France, il existe deux ordres de juridictions, c'est-à-dire deux ensembles autonomes et hiérarchisés
(en leur sein) de juridictions:
- l'ordre juridictionnel administratif chapeauté par le Conseil d'Etat et réunissant toutes les juridictions
administratives: tribunaux administratifs, cours administratives d'appel, etc.
- et l'ordre juridictionnel judiciaire avec à sa tête la Cour de cassation.
Notez qu’il n’y a pas de hiérarchie entre l'ordre juridictionnel administratif et l'ordre juridictionnel
judiciaire ; aucun n’est subordonné à l’autre.
On appelle dualité de juridictions l'existence de ces deux ordres de juridictions.
En France, on ne devrait pas seulement parler de pouvoir (ou d’autorité) judiciaire, on devrait
dire aussi pouvoir (ou autorité) juridictionnel(le) afin de désigner les deux ordres de juridictions.
3 - Combien de juges l’administration a-t-elle ? De combien de "droits" relève-t-elle ? Que signifie
la formule "La compétence suit le fond" ?
L’interdiction faite aux juges judiciaires de juger l’administration n’étant pas absolue (nous le
verrons), l’administration a en fait deux juges : le juge administratif et le juge judiciaire. Le juge normal
de l’administration est le juge administratif. Par exception, dans certains cas, le juge judiciaire
peut juger l’administration - ces cas seront étudiés tout au long de ce cours.
Lorsque le juge administratif juge l’administration, il lui applique, en principe, le droit administratif.
A l’inverse, lorsque le juge judiciaire juge l’administration, il lui applique, en principe, le droit
privé.
Par conséquent, pour savoir dans quel cas on doit saisir le juge administratif ou le juge judiciaire,
il suffit parfois de se demander quel droit sera appliqué au litige.
Si c’est le droit administratif, il faudra saisir le juge administratif ; sinon on saisira le juge judiciaire.
On illustre ce raisonnement par la formule La compétence suit le fond.
On peut donc dire que l’administration a
- deux juges : juge administratif (juge de principe) et juge judiciaire
- et deux droits : droit administratif (droit de principe) et droit privé.
Les juridictions administratives, tout comme le droit administratif, sont le fruit d'une évolution
marquée par deux volontés tantôt convergentes, tantôt divergentes : la volonté du législateur et
celle du juge.
A - La séparation législative des autorités administratives et judiciaires
Elle procède de deux textes qui sont toujours en vigueur. Sa portée divise la doctrine,
comme elle a partagé ses auteurs.
1 - L'affirmation consensuelle du principe de la séparation
Au commencement était le verbe révolutionnaire : un verbe dru et imprécis, un verbe gravé
dans deux textes.
1er texte : Loi des 16-24 août 1790
Article 13 : “ Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions
administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit,
les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.
”
"Explication" : cette loi défend aux juges de trancher les litiges concernant l’administration
parce qu’ils pourraient troubler, c’est-à-dire gêner l’action de l’administration.
Il s’agissait bien sûr des juges judiciaires, car il n’y avait pas encore de juges administratifs.
Les juges judiciaires vont désobéir à cette loi des 16-24 août 1790 et continuer à juger
l’administration.
C’est pourquoi, l'interdiction est réitérée avec force dans un deuxième texte.
2e texte : Décret du 16 fructidor an III
Article unique : “ Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration,
de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit. ”
" Explication " : itératives = répétées ; aux peines de droit = sous peine de sanctions légales.
A l'égard de l'Ancien Régime, ces deux textes révolutionnaires (loi des 16-24 août 1790 et
décret du 16 fructidor an III) marquent à la fois une continuité et une rupture :
1 - La continuité : ce n’était pas la première fois que l’on interdisait aux juges de juger
l’administration. Une interdiction semblable avait été énoncée sous l’Ancien régime. En effet, déjà,
dans l'édit de Saint-Germain de février 1641, Richelieu faisait “ très expresses inhibitions et défenses
aux cours judiciaires de prendre, à l'avenir, connaissance des affaires de l'État, de l'administration
et du gouvernement ”. Louis XIV réaffirme ce principe dans l'arrêt du Conseil du Roi du 8
juillet 1661.
Mais les juridictions judiciaires de l’époque feront échec à ces deux textes ; elles n’en tiendront
aucun compte.
2 - La rupture : Certes, comme Richelieu et Louis XIV, les auteurs de la loi des 16-24
août 1790 et du décret du 16 fructidor an III prohibent toute immixtion, toute intervention des juridictions
judiciaires dans l'activité administrative. Mais ils se fondent sur des motifs différents.
La prohibition révolutionnaire contenue dans les deux textes précités traduit, au premier
chef, la volonté de faire table rase du passé judiciaire. Les auteurs de la loi des 16-24 août 1790 etdu décret du 16 fructidor an III entendent prévenir les abus commis par les parlements (les juges)
de l'Ancien Régime. Ces derniers ne détenaient pas seulement des attributions juridictionnelles. Ils
s'étaient, de surcroît, arrogé le droit de participer à l'exercice des fonctions législative et réglementaire.
Ainsi, pouvaient-ils s'opposer à l'édiction d'ordonnances royales. Il leur suffisait d'en refuser
l'enregistrement - refus pouvant, toutefois, être brisé par un lit de justice1. Ces « juges » se permettaient
même de faire remontrance au Roi !
En somme, ils étaient devenus une formidable force d'inertie, faisant obstacle à toute réforme.
“ Dieu nous préserve de l'équité des parlements ! ”, entendait-on souvent.
Selon les révolutionnaires, auteurs de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor
an III, ces débordements sont contraires à la séparation des pouvoirs, et donc intolérables sous l'empire
d'une bonne constitution. Il faut en empêcher la résurgence.
D'où la défense faite aux juges
1 - de juger l’administration - Cf. supra loi des 16-24 août 1790 et décret du 16 fructidor
an III ;
2 - d'empêcher ou de suspendre l'exécution des lois : “ Les tribunaux ne pourront prendre directement
ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre
l’exécution des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture. ” - article 10 de la
loi des 16-24 août 1790 ;
3 - de faire des arrêts de règlement ;
4 - d’interpréter la loi - corollaire de l’interdiction précédente : “ Ils ne pourront point faire
de règlements, mais ils s’adresseront au Corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit
d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle. ” - article 12 de la loi des 16-24 août 1790. Ce recours
obligatoire au Corps législatif porte un nom : le référé législatif.
On appelle séparation des autorités administratives et judiciaires l’interdiction de principe
faite aux juges judicaires de juger l’administration.
Ce principe n’est pas interprété dans le même sens par tout le monde ; il suscite des controverses.
2 - L'interprétation controversée du principe de la séparation
Certes, les Constituants auteurs de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an
III interdisent aux juridictions judiciaires de s'immiscer dans l'administration active en prétendant la
juger.
Mais, à l'évidence, ils ne souhaitent pas, pour autant, soustraire l'administration à tout contrôle.
Cela serait par trop contraire à l'idéal d'État de droit qui les anime. Aussi, s’interrogent-ils :
1° - A quel organe convient-il donc de confier le soin de contrôler l'administration ? Autrement
dit, étant donné que nous avons interdit aux juges judiciaires de juger l’administration, et
qu’il n’est ni démocratique, ni conforme à l’idée d’Etat de droit que l’administration n’ait pas de
juge, à qui allons-nous demander de juger l’administration ?
2° - Au fond, les raisons pour lesquelles nous avons interdit aux juges judiciaires de juger
l’administration sont-elles valables ? En d’autres termes, juger l'administration équivaut-il réellement
à s'immiscer dans l'administration active, à troubler les opérations des corps administratifs
comme nous l’avons affirmé dans la loi des 16-24 août 1790 ?
1 Le fait, pour le Roi, de venir siéger - trôner - dans l’un des parlements.
3° - Comment allons-nous mettre en oeuvre la séparation - que nous avons proclamée - des
autorités administratives et judiciaires sans renoncer à toute idée d’État de droit ?
Toutes ces questions divisent les Constituants. Deux projets sont expressément rejetés :
1 - un projet tendant à modifier la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an
III afin de permettre aux tribunaux judiciaires de juger l'administration. Ce projet est repoussé parce
que le souvenir de l'Ancien Régime est encore trop vivace ;
2 - un projet visant à instituer des tribunaux administratifs distincts à la fois de l'administration
et des tribunaux judiciaires. On décline ce projet parce que l’on redoute que ces éventuels
tribunaux administratifs n'apparaissent comme des juridictions d'exception, ce qui rappellerait encore
trop l'Ancien Régime.
En conséquence du rejet de ces deux projets, le contrôle de l’administration et, par conséquent,
le contentieux administratif (c’est-à-dire l’ensemble des litiges administratifs, donc le jugement
de l’administration) seront confiés :
1° - d'une part, à des organes collégiaux composés d'administrateurs actifs – autrement dit
à des administrateurs en service ;
2° - d'autre part, au Conseil des ministres présidé par le Roi, chef de l'administration générale.
La constitution du 5 fructidor supprimera la collégialité ministérielle. En conséquence, chaque
ministre aura compétence pour trancher les litiges concernant son département.
En vertu de la solution retenue, l'administration sera à la fois juge et partie. C'est ce que l’on
appelle le système de l'administrateur-juge ou du ministre-juge, conséquence étrange de la séparation
des autorités administratives et judiciaires affirmée par la loi des 16-24 août 1790 et le décret
du 16 fructidor an III.
Illustration : J’ai un litige administratif avec le préfet de la Haute-Garonne, une autorité
administrative. C’est le préfet lui-même ou son supérieur hiérarchique, le ministre de l’Intérieur
(encore une autorité administrative) qui va trancher ce litige !
Cette solution paraît choquante.
Mais à en croire ses auteurs, les Constituants, une telle solution ne méconnaît point le principe
de la séparation des pouvoirs - posé par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789.
Le raisonnement des Constituants est on ne peut plus sophistique (un vrai sophisme) et astucieux.
En voici la substance :
1 - Certes, le principe de la séparation des pouvoirs assigne à chaque pouvoir une fonction
propre et spécifique. Le Législatif adopte les lois (Pouvoir législatif), l'Exécutif gouverne et administre
le pays en appliquant les lois (Pouvoir exécutif), le Judiciaire tranche les litiges sur la base
des lois (Pouvoir de juger ou pouvoir juridictionnel) ;
2 - Mais le pouvoir de juger que l’on a confié au Judiciaire n'est que celui de juger les infractions
et les litiges opposant les particuliers ;
3 - En revanche, le jugement de l’administration, des litiges administratifs, ne peut être
dissocié de la fonction de l'Exécutif. « Juger l’administration, c’est aussi et encore administrer »,comme on le dira plus tard (Quand on juge l’administration, on administre ; on ne peut juger
l’administration sans se mettre à la place de l’administration, sans… prendre sa place) ;
4 - Permettre au juge judiciaire de juger l'administration, c'est l’autoriser à administrer, à
remplir une fonction dévolue à l'Exécutif, donc à méconnaître la séparation des pouvoirs ;
5 - En revanche, la séparation des pouvoirs est pleinement assurée et respectée par le système
de l'administrateur-juge : en se jugeant elle-même, l’administration continue d’administrer, ce
qui ne contrarie point la raison. La séparation des pouvoirs conduit donc logiquement à la séparation
des autorités administratives et judiciaires affirmée par la loi des 16-24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III.
Cela dit, en dépit de ce raisonnement sophistique et astucieux, la solution retenue (celle de
l’administrateur-juge) ne laisse de heurter le sens de l'équité et de la justice.
Développement
Les juridictions administratives, tout comme le droit administratif, sont le fruit d'une évolution
marquée par deux volontés tantôt convergentes, tantôt divergentes : la volonté du législateur et
celle du juge.
A - La séparation législative des autorités administratives et judiciaires
Elle procède de deux textes qui sont toujours en vigueur. Sa portée divise la doctrine,
comme elle a partagé ses auteurs.
1 - L'affirmation consensuelle du principe de la séparation
Au commencement était le verbe révolutionnaire : un verbe dru et imprécis, un verbe gravé
dans deux textes.
1er texte : Loi des 16-24 août 1790
Article 13 : “ Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions
administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit,
les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.
”
"Explication" : cette loi défend aux juges de trancher les litiges concernant l’administration
parce qu’ils pourraient troubler, c’est-à-dire gêner l’action de l’administration.
Il s’agissait bien sûr des juges judiciaires, car il n’y avait pas encore de juges administratifs.
Les juges judiciaires vont désobéir à cette loi des 16-24 août 1790 et continuer à juger
l’administration.
C’est pourquoi, l'interdiction est réitérée avec force dans un deuxième texte.
2e texte : Décret du 16 fructidor an III
Article unique : “ Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration,
de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit. ”
" Explication " : itératives = répétées ; aux peines de droit = sous peine de sanctions légales.
A l'égard de l'Ancien Régime, ces deux textes révolutionnaires (loi des 16-24 août 1790 et
décret du 16 fructidor an III) marquent à la fois une continuité et une rupture :
1 - La continuité : ce n’était pas la première fois que l’on interdisait aux juges de juger
l’administration. Une interdiction semblable avait été énoncée sous l’Ancien régime. En effet, déjà,
dans l'édit de Saint-Germain de février 1641, Richelieu faisait “ très expresses inhibitions et défenses
aux cours judiciaires de prendre, à l'avenir, connaissance des affaires de l'État, de l'administration
et du gouvernement ”. Louis XIV réaffirme ce principe dans l'arrêt du Conseil du Roi du 8
juillet 1661.
Mais les juridictions judiciaires de l’époque feront échec à ces deux textes ; elles n’en tiendront
aucun compte.
2 - La rupture : Certes, comme Richelieu et Louis XIV, les auteurs de la loi des 16-24
août 1790 et du décret du 16 fructidor an III prohibent toute immixtion, toute intervention des juridictions
judiciaires dans l'activité administrative. Mais ils se fondent sur des motifs différents.
La prohibition révolutionnaire contenue dans les deux textes précités traduit, au premier
chef, la volonté de faire table rase du passé judiciaire. Les auteurs de la loi des 16-24 août 1790 etdu décret du 16 fructidor an III entendent prévenir les abus commis par les parlements (les juges)
de l'Ancien Régime. Ces derniers ne détenaient pas seulement des attributions juridictionnelles. Ils
s'étaient, de surcroît, arrogé le droit de participer à l'exercice des fonctions législative et réglementaire.
Ainsi, pouvaient-ils s'opposer à l'édiction d'ordonnances royales. Il leur suffisait d'en refuser
l'enregistrement - refus pouvant, toutefois, être brisé par un lit de justice1. Ces « juges » se permettaient
même de faire remontrance au Roi !
En somme, ils étaient devenus une formidable force d'inertie, faisant obstacle à toute réforme.
“ Dieu nous préserve de l'équité des parlements ! ”, entendait-on souvent.
Selon les révolutionnaires, auteurs de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor
an III, ces débordements sont contraires à la séparation des pouvoirs, et donc intolérables sous l'empire
d'une bonne constitution. Il faut en empêcher la résurgence.
D'où la défense faite aux juges
1 - de juger l’administration - Cf. supra loi des 16-24 août 1790 et décret du 16 fructidor
an III ;
2 - d'empêcher ou de suspendre l'exécution des lois : “ Les tribunaux ne pourront prendre directement
ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre
l’exécution des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture. ” - article 10 de la
loi des 16-24 août 1790 ;
3 - de faire des arrêts de règlement ;
4 - d’interpréter la loi - corollaire de l’interdiction précédente : “ Ils ne pourront point faire
de règlements, mais ils s’adresseront au Corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit
d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle. ” - article 12 de la loi des 16-24 août 1790. Ce recours
obligatoire au Corps législatif porte un nom : le référé législatif.
On appelle séparation des autorités administratives et judiciaires l’interdiction de principe
faite aux juges judicaires de juger l’administration.
Ce principe n’est pas interprété dans le même sens par tout le monde ; il suscite des controverses.
2 - L'interprétation controversée du principe de la séparation
Certes, les Constituants auteurs de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an
III interdisent aux juridictions judiciaires de s'immiscer dans l'administration active en prétendant la
juger.
Mais, à l'évidence, ils ne souhaitent pas, pour autant, soustraire l'administration à tout contrôle.
Cela serait par trop contraire à l'idéal d'État de droit qui les anime. Aussi, s’interrogent-ils :
1° - A quel organe convient-il donc de confier le soin de contrôler l'administration ? Autrement
dit, étant donné que nous avons interdit aux juges judiciaires de juger l’administration, et
qu’il n’est ni démocratique, ni conforme à l’idée d’Etat de droit que l’administration n’ait pas de
juge, à qui allons-nous demander de juger l’administration ?
2° - Au fond, les raisons pour lesquelles nous avons interdit aux juges judiciaires de juger
l’administration sont-elles valables ? En d’autres termes, juger l'administration équivaut-il réellement
à s'immiscer dans l'administration active, à troubler les opérations des corps administratifs
comme nous l’avons affirmé dans la loi des 16-24 août 1790 ?
1 Le fait, pour le Roi, de venir siéger - trôner - dans l’un des parlements.
3° - Comment allons-nous mettre en oeuvre la séparation - que nous avons proclamée - des
autorités administratives et judiciaires sans renoncer à toute idée d’État de droit ?
Toutes ces questions divisent les Constituants. Deux projets sont expressément rejetés :
1 - un projet tendant à modifier la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an
III afin de permettre aux tribunaux judiciaires de juger l'administration. Ce projet est repoussé parce
que le souvenir de l'Ancien Régime est encore trop vivace ;
2 - un projet visant à instituer des tribunaux administratifs distincts à la fois de l'administration
et des tribunaux judiciaires. On décline ce projet parce que l’on redoute que ces éventuels
tribunaux administratifs n'apparaissent comme des juridictions d'exception, ce qui rappellerait encore
trop l'Ancien Régime.
En conséquence du rejet de ces deux projets, le contrôle de l’administration et, par conséquent,
le contentieux administratif (c’est-à-dire l’ensemble des litiges administratifs, donc le jugement
de l’administration) seront confiés :
1° - d'une part, à des organes collégiaux composés d'administrateurs actifs – autrement dit
à des administrateurs en service ;
2° - d'autre part, au Conseil des ministres présidé par le Roi, chef de l'administration générale.
La constitution du 5 fructidor supprimera la collégialité ministérielle. En conséquence, chaque
ministre aura compétence pour trancher les litiges concernant son département.
En vertu de la solution retenue, l'administration sera à la fois juge et partie. C'est ce que l’on
appelle le système de l'administrateur-juge ou du ministre-juge, conséquence étrange de la séparation
des autorités administratives et judiciaires affirmée par la loi des 16-24 août 1790 et le décret
du 16 fructidor an III.
Illustration : J’ai un litige administratif avec le préfet de la Haute-Garonne, une autorité
administrative. C’est le préfet lui-même ou son supérieur hiérarchique, le ministre de l’Intérieur
(encore une autorité administrative) qui va trancher ce litige !
Cette solution paraît choquante.
Mais à en croire ses auteurs, les Constituants, une telle solution ne méconnaît point le principe
de la séparation des pouvoirs - posé par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen du 26 août 1789.
Le raisonnement des Constituants est on ne peut plus sophistique (un vrai sophisme) et astucieux.
En voici la substance :
1 - Certes, le principe de la séparation des pouvoirs assigne à chaque pouvoir une fonction
propre et spécifique. Le Législatif adopte les lois (Pouvoir législatif), l'Exécutif gouverne et administre
le pays en appliquant les lois (Pouvoir exécutif), le Judiciaire tranche les litiges sur la base
des lois (Pouvoir de juger ou pouvoir juridictionnel) ;
2 - Mais le pouvoir de juger que l’on a confié au Judiciaire n'est que celui de juger les infractions
et les litiges opposant les particuliers ;
3 - En revanche, le jugement de l’administration, des litiges administratifs, ne peut être
dissocié de la fonction de l'Exécutif. « Juger l’administration, c’est aussi et encore administrer »,comme on le dira plus tard (Quand on juge l’administration, on administre ; on ne peut juger
l’administration sans se mettre à la place de l’administration, sans… prendre sa place) ;
4 - Permettre au juge judiciaire de juger l'administration, c'est l’autoriser à administrer, à
remplir une fonction dévolue à l'Exécutif, donc à méconnaître la séparation des pouvoirs ;
5 - En revanche, la séparation des pouvoirs est pleinement assurée et respectée par le système
de l'administrateur-juge : en se jugeant elle-même, l’administration continue d’administrer, ce
qui ne contrarie point la raison. La séparation des pouvoirs conduit donc logiquement à la séparation
des autorités administratives et judiciaires affirmée par la loi des 16-24 août 1790 et le
décret du 16 fructidor an III.
Cela dit, en dépit de ce raisonnement sophistique et astucieux, la solution retenue (celle de
l’administrateur-juge) ne laisse de heurter le sens de l'équité et de la justice.
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