PHOTO DE LEON DENIS
A l'encontre des religions exclusives qui ont pris pour précepte : « Hors de l'Église point de salut », comme si leur point de vue purement humain pouvait décider du sort des êtres dans la vie future, Allan Kardec place ces paroles en tête de ses oeuvres : Hors la Charité, point de salut. Les Esprits nous enseignent, en effet, que la charité est la vertu par excellence ; elle seule donne la clef des cieux élevés.
« Il faut aimer les hommes », répètent-ils après le Christ, qui avait résumé en ces mots tous les commandements de la loi morale.
Mais les hommes ne sont point aimables, objecte-t-on. Trop de méchanceté couve en eux, et la charité est bien difficile à pratiquer à leur égard.
Si nous les jugeons ainsi, n'est-ce pas parce que nous nous plaisons à considérer uniquement les mauvais côtés de leur caractère, leurs défauts, leurs passions, leurs faiblesses, oubliant trop souvent que nous n'en sommes pas exempts nous-mêmes, et que, s'ils ont besoin de charité, nous n'avons pas moins besoin d'indulgence ?
Cependant, le mal ne règne pas seul en ce monde. Il y a aussi du bien en l'homme, des qualités, des vertus. Il y a surtout des souffrances. Si nous voulons être charitables, et nous le devons, dans notre propre intérêt comme dans celui de l'ordre social, ne nous attachons pas, dans nos jugements sur nos semblables, à ce qui peut nous porter à la médisance, au dénigrement, mais voyons surtout en l'homme un compagnon d'épreuves, un frère d'armes dans la lutte de la vie. Voyons les maux qu'il endure dans tous les rangs de la société. Quel est celui qui ne cache une plaie au fond de son âme ? qui ne supporte le poids de chagrins, d'amertumes ? Si nous nous placions à ce point de vue pour considérer le prochain, notre malveillance se changerait vite en sympathie.
On entend souvent récriminer contre la grossièreté et les passions brutales des classes ouvrières, contre les convoitises et les revendications de certains hommes du peuple. Réfléchit-on assez aux mauvais exemples qui les ont entourés dès l'enfance ? Les nécessités de la vie, les besoins impérieux de chaque jour leur imposent une tâche rude et absorbante. Aucun loisir, aucun répit pour éclairer leur intelligence. Les douceurs de l'étude, les jouissances de l'art leur sont inconnues. Que savent-ils des lois morales, de leur destinée, des ressorts de l'univers ? Peu de rayons consolateurs se glissent dans ces ténèbres. Pour eux, la lutte farouche contre la nécessité est de tous les instants. Le chômage, la maladie, la noire misère, les menacent, les harcèlent sans cesse. Quel est le caractère qui ne s'aigrirait au milieu de tant de maux ? Pour les supporter avec résignation, il faut un véritable stoïcisme, une force d'âme d'autant plus admirable qu'elle est plutôt instinctive que raisonnée.
Au lieu de jeter la pierre à ces infortunés, attachons-nous à soulager leurs maux, à essuyer leurs larmes, à travailler de toutes nos forces à amener sur terre une répartition plus équitable des biens matériels et des trésors de la pensée. On ne sait pas assez ce que peuvent sur ces âmes ulcérées une bonne parole, une marque d'intérêt, un cordial serrement de main. Les vices du pauvre nous rebutent, et, cependant, quelle excuse n'y a-t-il pas au fond de sa misère ! Mais nous voulons ignorer ses vertus, qui sont bien plus étonnantes, s'épanouissant dans le bourbier.
Que de dévouements obscurs parmi les humbles ! Que de luttes héroïques et tenaces contre l'adversité ! Songeons aux innombrables familles qui végètent sans appui, sans secours, à tant d'enfants privés du nécessaire, à tous ces êtres qui grelottent de froid, au fond de réduits humides et sombres, ou dans des mansardes désolées. Quel rôle est celui de la femme du peuple, de la mère de famille dans de tels milieux, lorsque l'hiver s'abat sur la terre, que le foyer est sans feu, la table sans aliments, que sur le lit glacé des haillons remplacent la couverture vendue ou engagée pour avoir du pain ! Son sacrifice n'est-il pas de tous les instants ? Comme son pauvre coeur se brise à la vue des douleurs des siens ! L'oisif opulent ne devrait-il pas rougir d'étaler sa richesse parmi tant de souffrance ? Quelle responsabilité écrasante pour lui, si, au sein de son abondance, il oublie ceux que le besoin accable !
Sans doute, beaucoup de fange et de choses répugnantes se mêlent aux scènes de la vie des petits. Plaintes et blasphèmes, ivrognerie et proxénétisme, enfants sans coeur et parents sans entrailles, toutes les laideurs s'y confondent ; mais, sous ces dehors repoussants, c'est toujours l'âme humaine qui souffre, l'âme notre soeur, encore digne d'intérêt et d'affection.
L'arracher à la boue du cloaque, l'éclairer, lui faire gravir degré à degré l'échelle de réhabilitation, quelle grande tâche ! Tout se purifie au feu de la charité. C'est ce feu qui embrasait les Christ, les Vincent de Paul, tous ceux qui, dans leur immense amour pour les faibles et les déchus, ont trouvé le principe de leur abnégation sublime.
Il en est de même de ceux qui ont la faculté de beaucoup aimer et de beaucoup souffrir. La douleur est pour eux comme une initiation à l'art de consoler et de soulager les autres. Ils savent s'élever au-dessus de leurs propres maux pour ne voir que les maux de leurs semblables et en rechercher le remède. De là, les grands exemples donnés par ces âmes d'élite qui, au fond de leur déchirement, de leur agonie douloureuse, trouvent encore le secret de guérir les blessures des vaincus de la vie.
La charité a d'autres formes que la sollicitude pour les malheureux. La charité matérielle, ou bienfaisance, peut s'appliquer à un certain nombre de nos semblables, sous forme de secours, de soutien, d'encouragements. La charité morale doit s'étendre à tous ceux qui partagent notre vie en ce monde. Elle ne consiste plus en aumônes, mais en une bienveillance qui doit envelopper tous les hommes, du plus vertueux au plus criminel, et régler nos relations avec eux. Celle-là, nous pouvons tous la pratiquer, si modeste que soit notre condition.
La vraie charité est patiente et indulgente. Elle ne froisse, ne dédaigne personne ; elle est tolérante, et si elle cherche à dissuader, c'est avec douceur, sans heurter ni brusquer les idées acquises.
Toutefois, cette vertu est rare. Un certain fond d'égoïsme nous porte plutôt à observer, à critiquer les défauts du prochain, tandis que nous nous aveuglons sur nous-mêmes. Alors qu'il est en nous tant de travers, nous exerçons volontiers notre sagacité à faire ressortir ceux de nos semblables. Aussi, la vraie supériorité morale ne va pas sans la charité et sans la modestie. Nous n'avons pas le droit de condamner chez autrui des fautes que nous sommes exposés à commettre ; et, quand même notre élévation morale nous en aurait affranchis pour jamais, nous ne devons pas oublier qu'il fut un temps où nous nous débattions contre la passion et le vice.
Il est peu d'hommes qui n'aient de mauvaises habitudes à corriger, de fâcheux penchants à réformer. Rappelons-nous que nous serons jugés avec la même mesure qui nous aura servi pour nos semblables. Les opinions que nous nous formons sur eux sont presque toujours un reflet de notre propre nature. Soyons plus prompts à excuser qu'à blâmer.
Rien n'est plus funeste pour l'avenir de l'âme que les mauvais propos, que cette médisance incessante qui alimente la plupart des conversations. L'écho de nos paroles retentit dans la vie future, la fumée de nos pensées malveillantes forme comme une épaisse nuée dont l'esprit est enveloppé et obscurci. Gardons-nous de ces critiques, de ces appréciations malignes, de ces paroles railleuses qui empoisonnent l'avenir. Fuyons la médisance comme une peste ; retenons sur nos lèvres tout propos amer prêt à s'en échapper. Notre bonheur est à ce prix.
*
* *
L'homme charitable fait le bien dans l'ombre ; il dissimule ses bonnes actions, tandis que le vaniteux proclame le peu qu'il fait. « La main gauche doit ignorer ce que donne la main droite », a dit Jésus. « Celui qui fait le bien avec ostentation a déjà reçu sa récompense. »
Donner en cachette, être indifférent aux louanges des hommes, c'est montrer une véritable élévation de caractère, c'est se placer au-dessus des jugements d'un monde passager et chercher la justification de ses actes dans la vie qui ne finit pas.
Dans ces conditions, l'ingratitude, l'injustice ne peuvent atteindre l'homme charitable. Il fait le bien parce que c'est son devoir et sans en attendre aucun avantage. Il ne cherche pas de récompense ; il laisse à la loi éternelle le soin de faire découler les conséquences de ses actes, ou plutôt il n'y songe même pas. Il est généreux sans calcul. Pour obliger les autres, il sait se priver lui-même, pénétré de l'idée qu'il n'y a nul mérite à donner son superflu. C'est pourquoi l'obole du pauvre, le denier de la veuve, le morceau de pain partagé avec le compagnon d'infortune, ont plus de prix que les largesses du riche. Le pauvre, dans son dénuement, peut encore secourir plus pauvre que lui.
Il est mille manières de se rendre utile, de venir au secours de ses frères. L'or ne tarit pas toutes les larmes et ne panse pas toutes les plaies. Il est des maux pour lesquels une amitié sincère, une ardente sympathie, une effusion de l'âme feront plus que toutes les richesses.
Soyons généreux pour ceux qui ont succombé dans la lutte contre leurs passions et ont été entraînés dans le mal, généreux pour les pécheurs, les criminels, les endurcis. Savons-nous par quelles phases leurs âmes ont passé, quelles tentations elles ont endurées avant de faillir ? Avaient-elles cette connaissance des lois supérieures qui soutient à l'heure du péril ? Ignorantes, incertaines, agitées par tous les souffles du dehors, pouvaient-elles résister et vaincre ? La responsabilité est proportionnelle au savoir ; il est demandé davantage à celui qui possède la vérité.
Soyons pitoyables pour les petits, les débiles, les affligés, pour tous ceux qui saignent des blessures de l'âme ou du corps. Recherchons les milieux où les douleurs abondent, où les coeurs se brisent, où les existences se dessèchent dans le désespoir et l'oubli. Descendons dans ces abîmes de misère, afin d'y porter les consolations qui relèvent, les bonnes paroles qui réconfortent, les exhortations qui vivifient, afin d'y faire luire l'espérance, ce soleil des malheureux. Efforçons-nous d'en arracher quelque victime, de la purifier, de la sauver du mal, de lui ouvrir la voie honorable. C'est seulement par le dévouement et l'affection que nous rapprocherons les distances, que nous préviendrons les cataclysmes sociaux, en éteignant la haine qui couve au coeur des déshérités.
Tout ce que l'homme fait pour son frère se grave dans le grand livre fluidique dont les pages se déroulent à travers l'espace, pages lumineuses où s'inscrivent nos actes, nos sentiments, nos pensées. Et ces dettes nous seront payées amplement dans les existences futures.
Rien n'est perdu, rien n'est oublié. Les liens qui unissent les âmes à travers les temps sont tissés des bienfaits du passé. La sagesse éternelle a tout réglé pour le bien des êtres. Les bonnes oeuvres accomplies ici-bas deviennent, pour leur auteur, la source d'infinies jouissances dans l'avenir.
La perfection de l'homme se résume en deux mots : Charité, Vérité. La charité est la vertu par excellence ; elle est d'essence divine. Elle rayonne sur les mondes, elle réchauffe les âmes comme un regard, comme un sourire de l'Éternel. Elle surpasse en résultats le savoir, le génie. Ceux-ci ne vont pas sans quelque orgueil. Ils sont contestés, parfois méconnus, mais la charité, toujours douce et bienveillante, attendrit les coeurs les plus durs, désarme les esprits les plus pervers, en les inondant d'amour.
A l'encontre des religions exclusives qui ont pris pour précepte : « Hors de l'Église point de salut », comme si leur point de vue purement humain pouvait décider du sort des êtres dans la vie future, Allan Kardec place ces paroles en tête de ses oeuvres : Hors la Charité, point de salut. Les Esprits nous enseignent, en effet, que la charité est la vertu par excellence ; elle seule donne la clef des cieux élevés.
« Il faut aimer les hommes », répètent-ils après le Christ, qui avait résumé en ces mots tous les commandements de la loi morale.
Mais les hommes ne sont point aimables, objecte-t-on. Trop de méchanceté couve en eux, et la charité est bien difficile à pratiquer à leur égard.
Si nous les jugeons ainsi, n'est-ce pas parce que nous nous plaisons à considérer uniquement les mauvais côtés de leur caractère, leurs défauts, leurs passions, leurs faiblesses, oubliant trop souvent que nous n'en sommes pas exempts nous-mêmes, et que, s'ils ont besoin de charité, nous n'avons pas moins besoin d'indulgence ?
Cependant, le mal ne règne pas seul en ce monde. Il y a aussi du bien en l'homme, des qualités, des vertus. Il y a surtout des souffrances. Si nous voulons être charitables, et nous le devons, dans notre propre intérêt comme dans celui de l'ordre social, ne nous attachons pas, dans nos jugements sur nos semblables, à ce qui peut nous porter à la médisance, au dénigrement, mais voyons surtout en l'homme un compagnon d'épreuves, un frère d'armes dans la lutte de la vie. Voyons les maux qu'il endure dans tous les rangs de la société. Quel est celui qui ne cache une plaie au fond de son âme ? qui ne supporte le poids de chagrins, d'amertumes ? Si nous nous placions à ce point de vue pour considérer le prochain, notre malveillance se changerait vite en sympathie.
On entend souvent récriminer contre la grossièreté et les passions brutales des classes ouvrières, contre les convoitises et les revendications de certains hommes du peuple. Réfléchit-on assez aux mauvais exemples qui les ont entourés dès l'enfance ? Les nécessités de la vie, les besoins impérieux de chaque jour leur imposent une tâche rude et absorbante. Aucun loisir, aucun répit pour éclairer leur intelligence. Les douceurs de l'étude, les jouissances de l'art leur sont inconnues. Que savent-ils des lois morales, de leur destinée, des ressorts de l'univers ? Peu de rayons consolateurs se glissent dans ces ténèbres. Pour eux, la lutte farouche contre la nécessité est de tous les instants. Le chômage, la maladie, la noire misère, les menacent, les harcèlent sans cesse. Quel est le caractère qui ne s'aigrirait au milieu de tant de maux ? Pour les supporter avec résignation, il faut un véritable stoïcisme, une force d'âme d'autant plus admirable qu'elle est plutôt instinctive que raisonnée.
Au lieu de jeter la pierre à ces infortunés, attachons-nous à soulager leurs maux, à essuyer leurs larmes, à travailler de toutes nos forces à amener sur terre une répartition plus équitable des biens matériels et des trésors de la pensée. On ne sait pas assez ce que peuvent sur ces âmes ulcérées une bonne parole, une marque d'intérêt, un cordial serrement de main. Les vices du pauvre nous rebutent, et, cependant, quelle excuse n'y a-t-il pas au fond de sa misère ! Mais nous voulons ignorer ses vertus, qui sont bien plus étonnantes, s'épanouissant dans le bourbier.
Que de dévouements obscurs parmi les humbles ! Que de luttes héroïques et tenaces contre l'adversité ! Songeons aux innombrables familles qui végètent sans appui, sans secours, à tant d'enfants privés du nécessaire, à tous ces êtres qui grelottent de froid, au fond de réduits humides et sombres, ou dans des mansardes désolées. Quel rôle est celui de la femme du peuple, de la mère de famille dans de tels milieux, lorsque l'hiver s'abat sur la terre, que le foyer est sans feu, la table sans aliments, que sur le lit glacé des haillons remplacent la couverture vendue ou engagée pour avoir du pain ! Son sacrifice n'est-il pas de tous les instants ? Comme son pauvre coeur se brise à la vue des douleurs des siens ! L'oisif opulent ne devrait-il pas rougir d'étaler sa richesse parmi tant de souffrance ? Quelle responsabilité écrasante pour lui, si, au sein de son abondance, il oublie ceux que le besoin accable !
Sans doute, beaucoup de fange et de choses répugnantes se mêlent aux scènes de la vie des petits. Plaintes et blasphèmes, ivrognerie et proxénétisme, enfants sans coeur et parents sans entrailles, toutes les laideurs s'y confondent ; mais, sous ces dehors repoussants, c'est toujours l'âme humaine qui souffre, l'âme notre soeur, encore digne d'intérêt et d'affection.
L'arracher à la boue du cloaque, l'éclairer, lui faire gravir degré à degré l'échelle de réhabilitation, quelle grande tâche ! Tout se purifie au feu de la charité. C'est ce feu qui embrasait les Christ, les Vincent de Paul, tous ceux qui, dans leur immense amour pour les faibles et les déchus, ont trouvé le principe de leur abnégation sublime.
Il en est de même de ceux qui ont la faculté de beaucoup aimer et de beaucoup souffrir. La douleur est pour eux comme une initiation à l'art de consoler et de soulager les autres. Ils savent s'élever au-dessus de leurs propres maux pour ne voir que les maux de leurs semblables et en rechercher le remède. De là, les grands exemples donnés par ces âmes d'élite qui, au fond de leur déchirement, de leur agonie douloureuse, trouvent encore le secret de guérir les blessures des vaincus de la vie.
La charité a d'autres formes que la sollicitude pour les malheureux. La charité matérielle, ou bienfaisance, peut s'appliquer à un certain nombre de nos semblables, sous forme de secours, de soutien, d'encouragements. La charité morale doit s'étendre à tous ceux qui partagent notre vie en ce monde. Elle ne consiste plus en aumônes, mais en une bienveillance qui doit envelopper tous les hommes, du plus vertueux au plus criminel, et régler nos relations avec eux. Celle-là, nous pouvons tous la pratiquer, si modeste que soit notre condition.
La vraie charité est patiente et indulgente. Elle ne froisse, ne dédaigne personne ; elle est tolérante, et si elle cherche à dissuader, c'est avec douceur, sans heurter ni brusquer les idées acquises.
Toutefois, cette vertu est rare. Un certain fond d'égoïsme nous porte plutôt à observer, à critiquer les défauts du prochain, tandis que nous nous aveuglons sur nous-mêmes. Alors qu'il est en nous tant de travers, nous exerçons volontiers notre sagacité à faire ressortir ceux de nos semblables. Aussi, la vraie supériorité morale ne va pas sans la charité et sans la modestie. Nous n'avons pas le droit de condamner chez autrui des fautes que nous sommes exposés à commettre ; et, quand même notre élévation morale nous en aurait affranchis pour jamais, nous ne devons pas oublier qu'il fut un temps où nous nous débattions contre la passion et le vice.
Il est peu d'hommes qui n'aient de mauvaises habitudes à corriger, de fâcheux penchants à réformer. Rappelons-nous que nous serons jugés avec la même mesure qui nous aura servi pour nos semblables. Les opinions que nous nous formons sur eux sont presque toujours un reflet de notre propre nature. Soyons plus prompts à excuser qu'à blâmer.
Rien n'est plus funeste pour l'avenir de l'âme que les mauvais propos, que cette médisance incessante qui alimente la plupart des conversations. L'écho de nos paroles retentit dans la vie future, la fumée de nos pensées malveillantes forme comme une épaisse nuée dont l'esprit est enveloppé et obscurci. Gardons-nous de ces critiques, de ces appréciations malignes, de ces paroles railleuses qui empoisonnent l'avenir. Fuyons la médisance comme une peste ; retenons sur nos lèvres tout propos amer prêt à s'en échapper. Notre bonheur est à ce prix.
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L'homme charitable fait le bien dans l'ombre ; il dissimule ses bonnes actions, tandis que le vaniteux proclame le peu qu'il fait. « La main gauche doit ignorer ce que donne la main droite », a dit Jésus. « Celui qui fait le bien avec ostentation a déjà reçu sa récompense. »
Donner en cachette, être indifférent aux louanges des hommes, c'est montrer une véritable élévation de caractère, c'est se placer au-dessus des jugements d'un monde passager et chercher la justification de ses actes dans la vie qui ne finit pas.
Dans ces conditions, l'ingratitude, l'injustice ne peuvent atteindre l'homme charitable. Il fait le bien parce que c'est son devoir et sans en attendre aucun avantage. Il ne cherche pas de récompense ; il laisse à la loi éternelle le soin de faire découler les conséquences de ses actes, ou plutôt il n'y songe même pas. Il est généreux sans calcul. Pour obliger les autres, il sait se priver lui-même, pénétré de l'idée qu'il n'y a nul mérite à donner son superflu. C'est pourquoi l'obole du pauvre, le denier de la veuve, le morceau de pain partagé avec le compagnon d'infortune, ont plus de prix que les largesses du riche. Le pauvre, dans son dénuement, peut encore secourir plus pauvre que lui.
Il est mille manières de se rendre utile, de venir au secours de ses frères. L'or ne tarit pas toutes les larmes et ne panse pas toutes les plaies. Il est des maux pour lesquels une amitié sincère, une ardente sympathie, une effusion de l'âme feront plus que toutes les richesses.
Soyons généreux pour ceux qui ont succombé dans la lutte contre leurs passions et ont été entraînés dans le mal, généreux pour les pécheurs, les criminels, les endurcis. Savons-nous par quelles phases leurs âmes ont passé, quelles tentations elles ont endurées avant de faillir ? Avaient-elles cette connaissance des lois supérieures qui soutient à l'heure du péril ? Ignorantes, incertaines, agitées par tous les souffles du dehors, pouvaient-elles résister et vaincre ? La responsabilité est proportionnelle au savoir ; il est demandé davantage à celui qui possède la vérité.
Soyons pitoyables pour les petits, les débiles, les affligés, pour tous ceux qui saignent des blessures de l'âme ou du corps. Recherchons les milieux où les douleurs abondent, où les coeurs se brisent, où les existences se dessèchent dans le désespoir et l'oubli. Descendons dans ces abîmes de misère, afin d'y porter les consolations qui relèvent, les bonnes paroles qui réconfortent, les exhortations qui vivifient, afin d'y faire luire l'espérance, ce soleil des malheureux. Efforçons-nous d'en arracher quelque victime, de la purifier, de la sauver du mal, de lui ouvrir la voie honorable. C'est seulement par le dévouement et l'affection que nous rapprocherons les distances, que nous préviendrons les cataclysmes sociaux, en éteignant la haine qui couve au coeur des déshérités.
Tout ce que l'homme fait pour son frère se grave dans le grand livre fluidique dont les pages se déroulent à travers l'espace, pages lumineuses où s'inscrivent nos actes, nos sentiments, nos pensées. Et ces dettes nous seront payées amplement dans les existences futures.
Rien n'est perdu, rien n'est oublié. Les liens qui unissent les âmes à travers les temps sont tissés des bienfaits du passé. La sagesse éternelle a tout réglé pour le bien des êtres. Les bonnes oeuvres accomplies ici-bas deviennent, pour leur auteur, la source d'infinies jouissances dans l'avenir.
La perfection de l'homme se résume en deux mots : Charité, Vérité. La charité est la vertu par excellence ; elle est d'essence divine. Elle rayonne sur les mondes, elle réchauffe les âmes comme un regard, comme un sourire de l'Éternel. Elle surpasse en résultats le savoir, le génie. Ceux-ci ne vont pas sans quelque orgueil. Ils sont contestés, parfois méconnus, mais la charité, toujours douce et bienveillante, attendrit les coeurs les plus durs, désarme les esprits les plus pervers, en les inondant d'amour.
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